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©Chris Cleave

Chris Cleave est un romancier anglais qui vit à Londres avec sa femme française et ses 3 petites têtes : 2 garçons et 1 fille.
Petitestetes.com vous fait partager quelques morceaux choisis de la vie de ce papa trentenaire en publiant certaines de ses chroniques écrites chaque semaine pendant 2 ans pour The Guardian inédites en France et traduites pour Petitestetes.com.

Pour en savoir plus au sujet de Chris Cleave, rendez-vous sur :
www.chriscleave.com

 

Puffles

Une chronique de Chris Cleave

Notre petit de cinq ans est revenu de la maison d’un copain d’école débordant d’enthousiasme. “Papa!” hurla-t-il. “J’ai un puffle!” J’ai dû avoir l’air perplexe, parce qu’il m’a utilement expliqué : “C’est un puffle rouge et je l’ai appelé Charlie et mon ami a trois puffles et je vais attraper le gros poisson et ensuite j’aurai cent pièces et ensuite j’aurai assez pour un puffle bleu !” J’ai eu ce sentiment d’angoisse connu de tous les parents et éducateurs quand ils réalisent que leur enfant a rapporté à la maison quelque chose d’affreux de l’école.

Au moins mon fils a finalement découvert à quoi sert internet. En utilisant mille milliards de câbles et la puissance interconnectée de chaque ordinateur sur terre, l’humanité à son zénith a créé une plateforme qui permet à nos enfants de posséder des avatars de pingouins personnalisables avec lesquels ils peuvent interagir et jouer à des jeux d’arcade dans un monde virtuel de glace sponsorisé par la Disney Corporation of America. C’est le Club Penguin, un site internet étonnamment addictif pour les jeunes enfants à tel point que ses propriétaires en font la promotion comme pour du crack, juste en le mettant à disposition dans les rues et en faisant confiance aux utilisateurs pour en attirer d’autres. Les parents surpris, confrontés aux demandes stridentes de leurs enfants de se joindre à l’action sur la banquise, ont deux choix : résister ou voguer avec la banquise.

Le dilemme du parent vient de la prétention du Club Penguin d’être plus pédagogique qu’un simple jeu d’ordinateur. Les défenseurs de Disney soulignent qu’il s’agit d’un vrai réseau social pour enfants un peu comme Twitter ou Facebook. Les détracteurs de Disney rétorquent qu’il s’agit d’un vrai réseau social pour enfants un peu comme Twitter ou Facebook. Naturellement en tant que parent, j’ai agi en responsable, d’abord en accompagnant mon enfant pour découvrir le site puis, au moment opportun, en l’écartant du coude du clavier pour lui montrer comment vraiment jouer comme un pro au jeu de pêche sur la glace.

Heureusement, il y a très peu de réseautage social au Club Penguin. Tout comme dans la vraie vie, les gosses, bien réglés, se ruent directement sur les jeux écartant du coude les gosses les plus faibles. Le manque d'interaction sociale est assourdissant. Ce que le Club Penguin t’enseigne vraiment ce sont les lois du commerce. Les enfants gagnent des pièces en fonction de leur performance dans les différents jeux, et ces pièces servent ensuite à acheter aux avatars pingouins des accessoires modes dignes des femmes ou petites amies des footballers anglais. Robes, chapeaux et planches de surf de marque sont parmi les éléments à saisir, mais l’accessoire le plus convoité pour les manchots anthropomorphiques jeunes et branchés d’aujourd’hui est le puffle. Les puffles sont de petits animaux à fourrure que Disney utilement nous décrit comme “n’existant pas dans la vraie vie contrairement aux pingouins”, et notre aîné en a maintenant six. Il les a appelés Charlie, Lollypop, Silly, Wall-E, Dog et… heu… Dog.

Comme un psychologue du développement avant-gardiste pourrait le souligner, les personnalités naissantes des enfants se révèlent à travers leur approche de la gestion des puffles. La fille de six ans de mon ami possède un seul puffle, mais elle a utilisé tous ses gains pour acheter un bel igloo dans lequel il puisse habiter - un modèle Xanadu avec de beaux tissus d’ameublement, de la plomberie intérieure et un dance-floor disco flashy. Une hôtesse de société en herbe, qui enchante ses amis en leur faisant faire une visite guidée. Les puffles de mon fils, en revanche, sont prisonniers dans un goulag Sparte, grelottant de froid et nourris d’épluchures. Ils sont les esclaves de la détermination Napoléonienne de mon fils de posséder plus de puffles que quiconque dans sa classe à l’école. Il en achète plus que ce qu’il peut en nourrir, parandant avec eux en promenade mais n’invitant jamais d’amis à voir leur taudis. Ceci donc est la réelle affirmation du mérite pédagogique du Club Penguin : apprendre à votre enfant toutes les variétés du snobisme social. Heureusement, tel un bonus, cela leur servira aussi à apprendre à lire. Plus précisément, ils apprendront à lire les mots “acheter” et “puffle” et “maintenant”. Mais, de façon exaspérante, c’est vraiment trop rigolo pour qu’on le déteste.

Alors que nos enfants grandissent, nous abandonnons progressivement le contrôle sur ce qu’ils lisent, ce qu’ils font et ce qu’ils voient. Nous les abandonnons doucement dans le monde. Je me demande combien d’entre nous imaginaient cependant que le monde dans lequel nous les perdions, était si rempli de puffles.

     

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